Pierre Vidal-Naquet

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Pierre Vidal-Naquet, historien et intellectuel engagé

par Robert Migliorini
La Croix - 31 juillet 2006

Grand spécialiste de la Grèce antique, militant passionné du rapprochement israélo-arabe, l’historien est mort à l’âge de 76 ans.


Ce jeudi encore Pierre Vidal-Naquet cosignait dans Libération, avec le collectif « Trop, c’est trop ! », un texte appelant Israël à mettre un terme au Liban à un conflit constituant une « fuite en avant ». Érudit et intellectuel engagé, Pierre Vidal-Naquet aimait à dire que son oeuvre trouvait son unité dans une éternelle recherche de la vérité et de la justice, quoi qu’il en coûte. Pierre Vidal-Naquet est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l’âge de 76 ans, à l’hôpital de Nice, a-t-on appris dimanche auprès des Éditions La Découverte. Il était dans le coma depuis lundi à la suite d’une hémorragie cérébrale. Ses obsèques se dérouleront mercredi à Fayence, la commune du Var où il résidait.

Pierre Vidal-Naquet aimait se définir comme double : historien et philosophe, historien et universel, helléniste et juif. « Il a toujours manifesté une insatiable curiosité », dit de lui son éditeur, François Gèze. Tout récemment, le scientifique à la bibliothèque encyclopédique avait publié une somme consacrée à la petite histoire d’un mythe platonicien, L’Atlantide (Éditions Belles-Lettres ; lire La Croix du 3 mars 2005). Un projet qu’il portait depuis vingt-cinq ans. Ses travaux ont alterné sujets spécialisés et ouvrages témoins de leur temps. Il aimait à dire qu’il était entré en histoire comme d’autres entrent en religion. Citant la phrase de Chateaubriand que lui avait fait découvrir son père : « Lorsque, dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. » Le texte écrit en 1805 avait mis Napoléon en fureur.

Né le 23 juillet 1930 à Paris, dans une famille issue de la communauté juive du Comtat Venaissin (Carpentras), Pierre Vidal-Naquet était marqué par l’influence de son père, Lucien, avocat laïc et dreyfusard, entré dans la Résistance pour ne pas devenir « un juif errant ». Les parents de Pierre Vidal-Naquet meurent en déportation dans le camp d’extermination d’Auschwitz. À la Libération, après avoir été notamment accueilli dans une communauté protestante du sud de la France, l’orphelin de 15 ans revient à Paris et découvre les tragédies grecques et classiques, le surréalisme. À 18 ans, il fonde une revue, Imprudence. Il décide de travailler sur la conception platonicienne de l’histoire. C’est le temps de La Brisure et l’attente, le titre du premier tome de ses mémoires. Il choisit l’enseignement. « J’ai vécu l’histoire avant de l’écrire, ou plutôt de tenter de l’écrire », expliquait-il dans un exposé aux Rencontres de Blois en 2002.

Il avait commencé sa carrière d’enseignant au lycée d’Orléans, en 1955, avant d’être nommé à la faculté des lettres de Caen puis de Lille. Docteur ès lettres et agrégé d’histoire, il collabore très tôt avec un autre grand helléniste, Jean-Pierre Vernant, avec qui il a dirigé le centre Louis-Gernet à l’École pratique des hautes études, de 1989 à 1997. Ils tentent de renouveler l’approche de l’Antiquité. Il publie ensuite de nombreux ouvrages. De Clisthène l’Athénien au Monde d’Homère. Il s’était également placé sous le parrainage d’Henri- Irénée Marrou. « Pierre était un helléniste connu d’abord pour ce qui n’a pas trait à la Grèce. Il avait pour modèle Jean Jaurès. C’est le premier à s’être préoccupé du sort des harkis », précise un ami algérien, Mohammed Harbi. Mais Pierre Vidal-Naquet a consacré son premier livre à la guerre d’Algérie, L’Affaire Audin, aux Éditions de Minuit, dénonçant le sort d’un jeune mathématicien communiste. Un ouvrage qui fait grand bruit et qui voit le professeur interdit d’enseignement. Il dénonce la torture, « la première grande cause de sa vie », expliquait-il.

Commence le temps du « trouble et de la lumière » où l’historien est engagé dans les grands débats du moment. Sans jamais être « encarté » dans quelque parti, il soutient de nombreuses causes. Il multipliera pétitions, lettres à la presse, comités de soutiens. Engagé en restant historien rigoureux. « On ne peut pas cisailler un texte pour lui faire dire n’importe quoi pour des raisons militantes. » Il est l’un des premiers à démonter les thèses des négationnistes, notamment dans ses ouvrages Assassins de la mémoire (1987), et Réflexions sur le génocide (1995). Par ailleurs, toute sa vie, témoigne encore un proche, Pierre Vidal-Naquet a tenté de rapprocher les points de vue dans le conflit israélo-palestinien. On lui doit des centaines de préfaces offertes en appui d’auteurs les plus divers. Au point que Marcel Bénabou a pu consacrer un essai à P.V.N. préfacier. L’historienne Esther Benbassa, directrice d’études aux Hautes Études, spécialiste du judaïsme, n’a jamais oublié cet appel que lui lançait un jour Pierre Vidal-Naquet : « Ne vous contentez pas de votre travail de recherche. Il faut aussi que vous soyez responsable. »

Il avait encore écrit : « Je ne crois guère à la vérité absolue, mais je crois beaucoup à la nécessité de débusquer l’imposture, même à propos de l’Atlantide. » Ou des accusations lancées contre Jean Moulin contre lesquelles il avait réagi avec vigueur.

Pierre Vidal-Naquet, marié à une historienne, Geneviève, était père de trois enfants.

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