Pierre Vidal-Naquet

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Pierre Vidal-Naquet, la passion pour l’universel

par Jean Daniel, 10 novembre 2006


Parmi les rescapés ou victimes indirectes de la Shoah, il y a eu ceux qui se sont dit « plus jamais nous ! » et d’autres qui se sont dit « plus jamais ça ! » Comment ne pas comprendre les premiers ? Mais comment ne pas admirer et approuver les seconds ?

Dans le premier cas, on se jurait de consacrer sa vie à cesser de faire du peuple juif un bouc émissaire passif. Dans le second, on se jurait de s’opposer à tout ce qui, de près ou de loin, pouvait ressembler ou seulement rappeler la Shoah.

Ce qu’il y a de plus saisissant avec Pierre Vidal-Naquet, c’est qu’il n’a cessé d’être fidèle aux deux serments, qu’il trouvait d’ailleurs indissociables dans sa passion pour l’universel. Le souvenir de ses parents déportés et assassinés à Auschwitz, bien qu’ils fussent patriotes français et juifs républicains, ne l’a conduit à faire ni de l’antisémitisme une fatalité ni des antisémites des ennemis exclusifs. C’est même le contraire.

Ce sont les mêmes sentiments qui l’ont conduit à traquer partout où ils pouvaient se manifester ou se camoufler, les adeptes de l’ignoble négationnisme, ce sont ces mêmes sentiments qui lui ont fait trouver insupportable qu’on puisse torturer et massacrer des civils en Algérie et partout ailleurs, y compris au Liban lors des derniers bombardements israéliens. Pierre Vidal-Naquet, parce qu’il se sentait concerné par les dangers qui menaçaient la société israélienne s’est montré intraitable dès que, au nom d’Israël, ou au nom de sa survie, on croyait pouvoir se permettre d’occuper un pays avec son cortège de dérives et de répression.

Grâce à ce comportement, d’une intraitable rigueur, Pierre Vidal-Naquet a rempli auprès des Arabes le rôle que Péguy a voulu remplir auprès des Juifs. Il fallait que quelqu’un qui n’était pas de la communauté put témoigner et que l’on s’en souvienne.

Le lendemain de sa mort, toute la presse algérienne a salué le courage solidaire avec lequel Pierre Vidal-Naquet, grand helléniste, qui aurait pu se consacrer à son œuvre, avait lutté contre les bourreaux des résistants algériens. Mais ce qu’il y a de plus remarquable et qui l’aurait comblé, c’est que cette presse algérienne a tout entière rappelé avec précision les horreurs de la Shoah, les atrocités du nazisme, et le fait que Pierre Vidal-Naquet, défenseur des Algériens et victime du génocide s’était imposé une solidarité militante avec les Arabes torturés. Grâce à cette ultime réaction, Vidal-Naquet aura réussi cet exploit : réhabiliter le devoir de mémoire de la Shoah aux yeux de ceux qui n’en n’avaient jamais été coupables et qui s’estimaient injustement punis d’un crime qu’ils n’avaient pas commis. Ainsi le « plus jamais nous » était-il prolongé corrigé et magnifié par le « plus jamais ça ». Jean Daniel

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