par Abraham Ségal
Cette partie que j’ai l’honneur et le bonheur d’animer s’intitule « Les Juifs, Israël et la Palestine, de Massada à Ramallah ». J’avais beaucoup d’affection et d’amitié pour Pierre. Ensemble, nous avons fait certaines actions et élaboré des textes, en particulier au nom du collectif « Trop, c’est trop ! ». Mais je n’étais pas son disciple, ni son collègue ou un ami de trente ans.
On a évoqué ce matin l’exigence de l’amitié. Et dans l’action ou la recherche, il y a aussi une exigence. Quand on milite, par exemple, on ne doit pas penser uniquement au résultat. Il faut toujours penser à l’éthique. Dans le rapport entre éthique et politique, Pierre m’a servi de guide. Une question s’est posée, à lui comme à d’autres : y a-t-il une éthique juive ? Cette question s’est bien sûr posée lorsque nous militions ensemble au sein du collectif « Trop, c’est trop ! ». Nous voulions soutenir les droits des Palestiniens et le dialogue entre Palestiniens et Israéliens. Soutenir les Palestiniens et leur droit à vivre, à avoir un pays, un État. Nous avions cette volonté en tant qu’hommes, en tant que citoyens, en tant que Français. Mais aussi en tant que Juifs.
Et pour cette séquence qui comporte dans le titre « de Massada à Ramallah », l’esprit de Pierre nous soufflerait peut-être aujourd’hui : « De Massada à Beit Hanoun. » Car c’est de ce drame-là qu’il s’agit de parler, ce drame quotidien. Les Juifs, la mémoire et le présent a été écrit sous le signe du drame et du tragique.
J’ai parlé de « Trop, c’est trop ! », de ce collectif fondé il y a quelques années autour de Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet et d’autres, pour protester contre l’occupation israélienne et contre la brutalité avec laquelle ils ont encerclé Ramallah et Arafat dans la Mouquata. « Trop, c’est trop ! » est encore actif, comme peut être actif un collectif d’intellectuels, c’est-à-dire… de temps en temps (rires)… De temps en temps, donc, on publie un bulletin ou une tribune dans un journal.
Certains d’entre vous connaissent le dernier papier signé par Pierre, « des deux mains », comme il disait. Ce texte, écrit à son instigation, s’intitule « Assez ! ». Il est paru dans Libération deux jours avant sa mort. Je voudrais en citer un court passage : « À l’opposé de la logique guerrière, nous pensons que des victoires militaires ne garantissent pas l’avenir d’Israël. Seuls un dialogue ouvert et la recherche patiente d’une cohabitation avec un véritable État palestinien permettraient aux Israéliens d’obtenir la paix avec leurs voisins arabes […] Nous autres, qui faisons partie du collectif “Trop, c’est trop !”, constitué en décembre 2001 à l’initiative de l’historienne Madeleine Rebérioux, nous crions aujourd’hui : “Assez !” Assez de cette folie guerrière, assez de cette agression abominable menée au nom d’Israël contre des Libanais et des Palestiniens, agression paranoïaque qui provoque en retour des tirs meurtriers contre des civils israéliens. Assez de ce comportement cynique qui utilise les trois soldats prisonniers comme prétexte pour régler leur compte aux partisans du Hamas et aux membres du Hezbollah, lesquels ne cessent en réalité de se renforcer par leur résistance aux attaques d’Israël. […] Assez de cette course effrénée vers l’abîme. »
C’est pour nous, et pour lui encore, que nous poursuivrons le combat dans l’esprit de ce texte.
Dans la lecture que va nous donner Christophe Givois d’un bref passage de l’avant-propos du livre Les Juifs, la mémoire et le présent, Pierre cite le prophète Habacuq : « Malheur à qui édifie une ville dans le sang et qui fonde une cité sur l’injustice. » Je suis frappé par la pertinence de ce verset biblique, en parfaite adéquation avec le propos de Pierre. De ce prophète de temps de crise, je peux vous citer un autre verset du même chapitre 12 qui résonne avec notre actualité dramatique : « Car la violence faite au Liban te submergera, ainsi que le massacre d’animaux frappés d’épouvante, car tu as versé le sang humain, violenté le pays, la cité et tous ceux qui l’habitent. »